Un cœur bat-il au sein de l’intelligence artificielle?
Si l’intelligence artificielle est, par définition, artificielle, comment peut-elle avoir un cœur ? Comment peut-elle avoir des émotions ?
Lors de sa dernière année de primaire, mon
fils Arthur a été récompensé pour ses travaux de rédaction. Or, quand j’ai
regardé ce court métrage, dont le script a lui été généré par une intelligence
artificielle sur la base de milliers de romans et de films de science-fiction,
je ne pouvais qu’apprécier les similitudes entre les deux productions. Cela reflète
l’état actuel de l’IA : c’est encore jeune, en développement, plein de
potentiel, certes, mais encore loin de sa maturité.
Aussi, je voulais aujourd’hui me pencher sur l’idée
de cœur dans l’intelligence artificielle. Après tout, si l’intelligence
artificielle est, par définition, artificielle, elle ne semble au premier abord pas pouvoir avoir de cœur ou d’émotions. D’autre part, si l’IA est le fruit de
personnes dotées d’émotions, comment ne peut-elle pas avoir un cœur ? C’est une
question assez fondamentale pour nous, marketeurs, puisque notre métier est justement
de provoquer une réaction émotionnelle de la part des consommateurs, mais en
même temps nous dépendons toujours plus des algorithmes et de l’automatisation.
Pour répondre à cette question donc, nous devrons d’abord définir
l’intelligence artificielle. Nous en explorerons ensuite sept stades d’avancement dont
nous exploitons aujourd’hui déjà le potentiel, et examinerons comment elles
permettent à chacun d’entre nous de réaliser notre potentiel.
Les briques de l’IA
Pour comprendre si un cœur bat à l’intérieur
de l’intelligence artificielle, nous avons besoin de comprendre d’où elle vient.
Or si l’IA est partout dans la presse dernièrement, elle n’a rien de nouveau.
Au contraire, il s’agit plutôt d’un ensemble de travaux vieux de 30 ans, visant
à créer des machines intelligentes, en combinant trois briques :
l’apprentissage des machines (machine
learning), l’apprentissage humain (human
learning) et la science des données (data
science). Or à bien des égards il y a une forte analogie entre développer
une IA et élever un enfant.
Tout comme nos rejetons acquièrent leurs bases
d’apprentissage de leurs parents, des enseignants et des manuels scolaires
qu’ils lisent, le machine learning
est basé sur des propriétés connues. La machine apprend à partir des données
qu’elle ingurgite. Pour mieux cerner ce concept, pensez à des scenarios
logiques de type si/alors. Si votre fils se comporte bien toute l’année, alors
le Père Noël sera généreux. Si votre fille voit une flaque d’eau, alors elle ne
doit pas sauter dedans pour garder les pieds secs. De la même façon, une
machine vous suggèrera que si vous avez dévoré ce livre, alors vous aimerez
probablement ceux-là aussi. Si vous avez acheté un ordinateur portable, alors
vous devriez considérer cette sacoche. Ce ne sont là que des exemples, désormais
triviaux, d’un domaine très complexe que nous développerons au gré de cet
article.
Les enfants apprennent vite que s’ils
pleurent et hurlent, ils auront votre attention… Cependant, vous voudrez
certainement qu’ils assimilent qu’un tel comportement n’est pas un mode
d’expression normal. Le human learning
est la possibilité de corriger l’apprentissage de la machine. Cortana, Alexa ou
Siri ont par exemple des équipes qui œuvrent à cet humanisation de
l’apprentissage afin qu’elles puissent devenir plus intelligentes. Cet
apprentissage humain confère à l’assistant personnel plus de personnalité, et
ses réponses sont par la même plus humaines.
La science des données est la troisième
brique de l’intelligence artificielle. La data science, c’est la découverte de propriétés (ou connexions) jusque-là inconnues
au sein d’ensembles de données. Dans ce cas, la machine se voit présenter une grande
quantité de données brutes et on lui demande de trouver des connexions. C’est
ainsi que nous pourrions découvrir que regarder une certaine émission dans
votre jeunesse augmente votre chance d’aller vivre à l’étranger. Nous ne
savions pas qu’il y avait une corrélation entre ces éléments jusqu’à ce que
nous allions à sa recherche.
Intervention humaine
Ces trois domaines ont vu récemment leurs capacités
accélérer en raison du développement exponentiel de notre puissance de calcul.
Nous sommes en mesure de traiter, d’analyser et de fournir une quantité
toujours croissante d’informations, à une vitesse elle aussi croissante. Mais une
question demeure. D’où viennent ces données qui alimentent l’apprentissage des
machines, l’apprentissage humain et la science des données ? Elles viennent de
nous ! L’intelligence artificielle vient de nous. À bien des égards, c’est
nous.
L’intelligence artificielle est aussi intelligente
que les données qu’elle ingère, aussi juste que les données qu’elle ingère,
aussi humaine que les données qu’elle ingère. Pour illustrer mon point, voici deux
exemples d’IA qui démontrent comment les humains peuvent influencer l’intelligence
d’un robot.
Vous rappelez-vous de Tay, la première expérimentation
de Microsoft avec des robots conversationnels ? Tay devait apprendre de ses échanges
sur Twitter pour entretenir des conversations avec les autres utilisateurs. Or,
certaines personnes ont détourné cet apprentissage en l’influençant
négativement, le nourrissant de messages de haine, racistes ou encore sexistes.
Dans ce cas, Tay a incité une forte réaction émotionnelle de la part de ceux qui
ont échangé avec elle ou lu sur ce qui s’est passé, même si Tay, elle-même, n’a
jamais exprimé d’émotion : elle était simplement un reflet de la haine qui
l’a nourrie.
En parallèle, Microsoft créait Xiaoice. Il
s’agit là du parfait exemple de ce vers quoi la technologie tend en termes de
plateformes conversationnelles. Xiaoice est un chatbot développé sur la
technologie du moteur de recherche Bing et sur du big data. Elle s’appuie sur les données des réseaux sociaux et du machine learning afin de tenir une vraie
conversation avec ses interlocuteurs (l’échange moyen entre Xiaoice et un
utilisateur est de 26 questions-réponses). Xiaoice est en effet sensible aux
émotions et se souvient de vos conversations précédentes. Si vous lui parlez de
votre rupture, elle va s’enquérir de votre état sentimental. Si vous lui
présentez la photo de votre chiot, non seulement elle reconnaîtra sa race mais
elle se renseignera sur son développement. Dire que ce bot est populaire est un
euphémisme. Trois jours après son lancement, Xiaoice avait été ajouté à 1,5
millions conversations sur WeChat. Une fois disponible sur Weibo, le service de
micro-blogging chinois, elle est devenue presque instantanément l’une des
célébrités les plus populaires. Et aujourd’hui, Xiaoice est utilisée par plus
de 40 millions personnes.
Or ces deux bots ont fondamentalement été conçus
sur la même base technologique. En somme, Tay et Xiaoice sont comme deux
jumeaux, séparés à la naissance et élevés dans deux environnements différents,
avec des influences différentes … Deux personnes très différentes.
Réévaluer nos attentes
Dès lors, que pouvons-nous raisonnablement
attendre de l’intelligence artificielle? Les progrès de calcul mentionnés précédemment
ont aussi permis la maturation de technologies qui soutiennent l’avancée de
l’intelligence artificielle : la reconnaissance visuelle, le traitement de la
voix et du langage naturel. En effet, si l’IA peut voir, parler et écouter, elle
n’est pas loin de pouvoir échanger avec l’être humain de manière transparente.
Or, à la mi-octobre 2016, les chercheurs en reconnaissance
vocale de Microsoft ont annoncé avoir atteint la parité humaine pour le taux d’erreur de mot (WER pour Word Error Rate). Cela veut dire que
leur IA était désormais capable de retranscrire par écrit une conversation
orale avec la même précision qu’un professionnel. Si vous avez un peu voyagé,
vous serez familier avec la complexité inhérente aux accents, aux dialectes, à
la prononciation, mais aussi avec le fait qu’un même mot peut avoir plusieurs
significations en fonction de son contexte. L’acquisition et la compréhension
linguistique ne sont donc pas choses faciles, mais elles sont essentielles pour
le succès futur de l’IA. Sans cet élément fondateur de nombreux développements de
l’intelligence artificielle n’auraient pas pu avoir lieu non plus. Seriez-vous patient
avec un assistant personnel numérique ou un conseiller technique qui aurait du
mal à comprendre vos instructions ?
L’apprentissage des langues naturelles est
une compétence complexe, comme nos enfants nous le rappellent si souvent. Mais
avec nos capacités informatiques accrues, non seulement sommes-nous en mesure
de reconnaître avec précision les mots, mais nous sommes désormais en mesure de
le faire instantanément. Cela ouvre de nouveaux scénarios comme la retranscription
d’une discussion en temps réel qui permettrait aux enfants sourds de lire tous
les échanges se déroulant autour d’eux, ou le traducteur Skype qui peut non seulement retranscrire mais aussi
traduire dans d’autres langues une conversation en temps réel.
Au regard des progrès réalisés en matière de reconnaissance
visuelle, traitement du langage naturel et de la voix, nos attentes envers l’IA
sont désormais toujours plus sophistiquées.
Les sept états de l’IA
Selon l’analyste de la Silicon Valley Ray Wang, l’intelligence artificielle est maintenant
en mesure d’être programmé pour répondre à sept degrés de besoin et de sophistication.
1. La perception est un exemple précoce de machine learning, désormais totalement ancré dans notre vie
quotidienne. S’appuyant sur des données existantes, la machine fournit à son
utilisateur des informations sur ce qui se passe autour de lui. La météo, le
trafic, les volumes de vente, le cours des actions… Des choses qui sont
mesurables et ne requiert ni analyse, ni interprétation. Le challenge technique
de ce premier niveau d’IA nous renvoie à la promesse même des moteurs de
recherche quand, basé sur quelques mots saisis ou verbalisés, la machine doit comprendre
l’intention de l’internaute pour lui fournir la réponse ou les liens vers
l’information recherchée. Si un internaute demande « S’il doit prendre un
parapluie demain », il veut de fait savoir quelle sera la météo, dans 24h,
là où il se trouvera… Pour nous, humains, exprimer notre perception reste assez
simple. Un enfant va d’ailleurs commencer par décrire ce qui se passe autour de
lui, de façon factuelle, avant de commencer à conceptualiser des notions plus
abstraites. Nous apprenons cela presque immédiatement : il fait noir ; j’ai chaud
; je suis heureux. Pour aller plus loin dans la sophistication de la perception,
je vous réfèrerai à la reconnaissance faciale et vous encouragerai à interagir avec
http://How-old.net, un site qui évalue votre âge en fonction de
vos traits (et que nous détestons lorsqu’il a raison).
2. Ensuite vient la notification. Si je n’avais pas mes alertes dans mon calendrier,
je serais un piètre collègue, en retard à mes réunions, tout cela parce que je
ne peux pas gérer de tète mon emploi du temps pro, perso ni celui de ma
famille. Ici, l’intention est moins explicitement verbalisée, mais elle est
toujours initiée par l’utilisateur et l’information reste factuelle, sans
aucune analyse des données. Dès notre plus jeune âge nous apprenons la
notification, à commencer par notre relation maternelle. Fait : j’ai faim ; notification
: je pleure. Et ça ne s’arrête plus : à l’école, on nous inculque qu’il
faut lever le doit pour informer le professeur que nous avons la réponse.
3. La suggestion est un autre domaine avec lequel nous sommes familiers. Vous
venez de faire une recherche pour ces mots, mais « essayez avec l’orthographe
suivante » vous répond l’algorithme. Dans cet état, la machine apprend des
comportements passés et suggère des actions alternatives à l’utilisateur. Et
franchement chacun apprécie le fruit de cet apprentissage sur des services
comme Spotify par exemple. Si j’écoute une chanson et que je l’aime, l’IA
suggèrera d’autres chansons, spécialement en accords avec mes gouts, tout en me
laissant une capacité de Human Learning
pour m’assurer que les recommandations ne dérivent jamais de Justin Timberlake
à Justin Bieber… Si les premières suggestions étaient basiques, imaginez ce
qui peut les influencer aujourd’hui : facteurs démographiques, localisation,
jour, heure, météo, comportements, etc. Les ensembles de données sont
gigantesques, mais nous sommes maintenant capables de les combiner et de les
traiter en un rien de temps afin d’identifier de nouvelles connexions,
peut-être plus obscures.
4. Nos enfants apprennent qu’un beau dessin
déclenchera le sourire de leurs parents, ou qu’il est temps de se laver les
mains avant un repas. Au fil du temps, nous n’avons même pas à leur rappeler ;
ils savent juste que c’est ce qui suit et le comportement devient automatisation. Une suggestion ou une
action recommandée peut s’automatiser grâce à l’assimilation de vos
préférences. Si vous suivez avidement le progrès de votre équipe de foot préférée,
l’IA va commencer à vous informer automatiquement de leur performance. Si vous
effectuez toujours une réservation pour 19 heures le samedi, votre IA va spontanément
bloquer la date et l’heure dans votre calendrier pour éviter de futurs conflits
d’agenda. Si vous générez le même rapport tous les lundis matin, la machine commencera
à compiler les informations pour vous et les affichera dans votre tableau de
bord de Business Intelligence avant même votre arrivée.
5. Les difficultés réelles commencent lorsque la
machine doit apprendre à faire des
prédictions. Tant de variables peuvent affecter un résultat vous en
conviendrez. Un enfant voit son père fermer une valise : est-ce triste parce
que papa part en déplacement ou une bonne nouvelle parce que la famille part en
vacances ? Microsoft a développé un programme appelé Bing Predicts qui associe et modélise les
signaux disponibles, et parvient, avec une incroyable précision, à réaliser des
prédictions. Ce programme de Machine Learning
s’est d’abord penché sur les concours de popularité comme American Idol ou La Nouvelle
Star. De ces programmes en effet dérivent des signaux sociaux et des
comportements sur le web très marqués. On peut d’ailleurs fortement les corrélés
aux votes du public. Vous faites des recherches sur cet aspirant artiste, son
histoire, son dernier clip vidéo, etc. En même temps, vous commentez ses prestations
sur Facebook ou Twitter. En combinant au sein de modèles prédictifs des
recherche anonymisées aux signaux sociaux publics, Bing Predicts a pu identifier
précisément qui allait être éliminé chaque semaine pendant American Idol et qui
serait le vainqueur éventuel… et ce, suite à la première émission. Plus
complexes, l’IA s’est ensuite tournée vers des événements sportifs et même des évènements
politiques mondiaux. Lors de la Coupe du monde au Brésil, la machine a prédit
avec 100% de précision les vainqueurs des matchs à élimination directe. L’année
dernière pour la Coupe du Monde de rugby, le programme a atteint 87% de
précision sur l’ensemble du tournoi. Surpris ? Afin de prédire avec succès un
résultat sportif, le type et volume de signaux a quadruplé par rapport au concours
comme American Idol. En effet, il va de soi que sa seule popularité d’une équipe
ne prédit pas si elle va gagner (désolé pour les fans de l’OM ou du RC Lens). Ces
fans ont cependant une perception particulièrement informée des capacités ou de
l’état de forme de leur équipe, et ils sont en discussion constante à leur
propos. C’est ce qu’on appelle la « connaissance d’initié ». Nous pouvons
donc surpondérer leurs connaissances des joueurs par rapport aux données moyennes
et adjoindre des statistiques de l’équipe, des tendances des tournois précédents,
l’historique des rencontres entre les équipes, l’emplacement géographique des
rencontres, l’altitude du stade, et même les conditions météorologiques. C’est
ainsi que nous avons réussi dans nos prédictions.
6. Si nous parvenons à prédire avec précision
l’avenir, la prochaine étape logique est la
prévention. Encore une fois Bing Predicts brille dans cette catégorie : en
analysant de larges échantillons de requêtes sur internet, des chercheurs ont
été en mesure d’identifier des internautes souffrant du cancer du pancréas avant même qu’ils n’aient été
diagnostiqués. Ils se sont concentrés sur les recherches menées sur
Bing par des volontaires ayant reçu un diagnostic positif au cancer. Puis, ils
ont travaillé à rebours, à la recherche de requêtes antérieures similaires qui pourraient
signaler que l’utilisateur éprouvait des symptômes de la maladie. Ces
recherches précoces, selon eux, peuvent être des signaux d’alarmes permettant
une détection anticipée du mal et donc de sa prise en charge.
7. Enfin, on atteint le stade de conscience situationnelle quand l’IA imite
le comportement humain dans la prise de décision. Elle a conscience du contexte
historique, de la situation présente grâce à la combinaison de nombreux aspects
de l’IA, allant de la reconnaissance des objets au capacités conversationnelles.
En voici un exemple permettant aux personnes aveugle de
« voir » le monde qui les entoure…
Ces 7 stades d’avancement de l’intelligence artificielle sont tous complexes et nécessitent encore aujourd’hui beaucoup de temps
d’apprentissage afin de fournir des résultats probants. Ils sont également
interconnectés et ne s’excluent pas mutuellement. Ils capitalisent en fait les
uns sur les autres pour offrir les avantages de l’IA à nous, les utilisateurs.
En conclusion, tout ce que nous voyons avec l’IA
est pour le moins excitant. Nous voyons le cœur dans l’IA tous les jours, quand
nous lui demandons d’aider à découvrir le cancer, aider deux personnes à se
connecter quand ils ne parlent pas la même langue. Mais où est le compas moral
et éthique pour l’intelligence artificielle ?
Comme mentionné à travers cet article, l’intelligence artificielle n’est encore qu’au stade de la petite enfance et il est de notre
responsabilité collective de le mettre sur la bonne trajectoire. Google, Amazon,
Microsoft et d’autres grands noms du privé comme du public se sont engagés auprès
d’autorités internationales comme l’Université de Cambridge ou le Partnership
for AI, pour aider à façonner l’avenir de cette discipline prometteuse. Pour
certains, l’IA est un Œdipe moderne qui devra tuer le père, voler nos
emplois, nous rendre redondants. Mais pour quelqu’un comme Satya Nadella, l’intelligence artificielle permettra plutôt aux
gens de réaliser leur plein potentiel comme nous l’avons vu à travers des 7 stades
de l’IA. Alors oui, pour eux, l’IA a un cœur. C’est le cœur de l’humanité.
source : 10 conseils pour piloter son audit des systèmes d’information http://ift.tt/11fIQ1p September 11, 2017 at 06:40PM